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Séisme

Maroc. Le séisme, révélateur de la misère sous le régime de Mohammed VI

Alors que le Maroc était secoué par un puissant séisme affectant des dizaines de milliers de personnes, le roi était dans un de ses palais à Paris. Un symbole d’une catastrophe qui est plus sociale que naturelle.

Philippe Alcoy

11 septembre 2023

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Magnitude 6.8. Le séisme le plus puissant jamais mesuré au Maroc. Un bilan provisoire qui table sur au moins 2500 morts et autant de blessés. Les dizaines de milliers de personnes qui dorment à la rue depuis vendredi soir. L’épicentre du séisme qui a frappé le Maroc le 8 septembre se trouvait à proximité de Marrakech, et ce sont les villages proches de cette ville touristique et luxueuse qui ont été les plus touchés. Aujourd’hui on parle de milliers de familles qui dorment, au mieux, sous des tentes, voire à la belle étoile. Des villages entiers ont été littéralement rasés ; les populations ont tout perdu : leurs maisons, leurs affaires, et le plus important leurs proches, morts sous les décombres. Les images pendant et après le séisme sont désolantes.

Dans certains villages coupés du monde, personne n’est venu sauver les victimes attrapées sous les décombres, donner des vivres, de l’eau, des couvertures ou des tentes aux rescapés, ou même sortir les corps des morts depuis vendredi. Seule la solidarité des habitants a permis d’alléger la catastrophe. C’est le cas de Tagadirt où 17 des 300 habitants sont morts lors du tremblement de terre et où il ne reste presque aucune maison debout. Pourtant, dans le village, pas de nouvelles des autorités ni d’aucune aide depuis vendredi soir. « Ce dont nous avons besoin, c’est de nourriture et d’eau, et jusqu’à présent, personne ne nous les a données (…) Tout ce que nous avions est enterré ici. Nous n’avons plus rien. Nous n’avons nulle part où dormir et la nuit est froide. Nous n’avons nulle part où aller (…) C’est un terrible malheur. Dans quelques semaines, il commencera à pleuvoir, puis à neiger. Où allons-nous aller ? », ont déclaré des habitants au journal espagnol El País.

Malgré cette situation désespérée pour des milliers des personnes, le pouvoir semble totalement perdu, allant jusqu’à laisser sans réponses les offres d’aide internationale. Certes l’aide doit être coordonnée pour qu’elle soit efficace, mais depuis vendredi soir l’aide de quatre pays seulement a été acceptée : l’Espagne, la Grande Bretagne, le Qatar et les Emirats Arabes Unis. D’autres propositions d’aide comme celle de la France, des Etats-Unis, de l’Inde, de la Russie ou de l’Arabie Saoudite sont restées, pour le moment, sans réponse. Or les heures passent et plus les secours tarderont à répondre sur le terrain, moins de chances il y aura de retrouver des survivants.

Les différents gouvernements, comme celui d’Emmanuel Macron, insistent qu’il n’y a aucun problème avec le royaume et que lenteur de la réponse des autorités marocaines serait liée à la complexité de la situation. Ainsi, la ministre française des affaires étrangères, Catherine Colonna, a déclaré à BFM TV que « le Maroc n’a refusé aucune aide, aucune proposition. Ce n’est pas comme ça qu’il faut présenter les choses (…) le Maroc est souverain, [il] est seul en mesure de déterminer quels sont ses besoins et le rythme auquel il souhaite que des réponses soient apportées ».

Or, il existe plusieurs raisons de croire que les décisions du pouvoir marocain sont motivées par des considérations d’ordre géopolitique. Cela d’autant plus que les secouristes français pourraient communiquer plus facilement avec les habitants que leurs pairs anglais ou espagnols. En effet, les relations entre la France et le Maroc sont en froid depuis que l’on a découvert que les services de renseignement marocain ont utilisé le logiciel israélien Pegasus pour espionner le portable du président français lui-même. D’autre part, le Maroc reproche à la France de ne pas reconnaître la souveraineté marocaine au Sahara Occidental et de chercher à se rapprocher de l’Algérie, rival régional direct de Rabat. Pour la France, cela constitue encore un autre signal du recul de son influence en Afrique, y compris auprès d’un « partenaire fiable » comme le royaume du roi Mohammed VI.

Quoiqu’il en soit, beaucoup de gens se demandent pourquoi le Maroc n’a pas accepté plus d’aide internationale et si c’est cela qui explique la lenteur des secours dans certains villages. En effet, cette catastrophe naturelle et sociale pourrait aussi devenir une crise politique si les autorités ne répondent plus rapidement et efficacement. Et cela risque de toucher même la figure du roi, ce qui est un énorme tabou dans le pays. N’oublions pas que vendredi soir, lors du séisme, le roi ne se trouvait même pas au Maroc : il séjournait dans un luxueux palais parisien qu’il a acquis il y a quelques années pour 80 millions d’euros. Un symbole fort qui contraste avec la situation de milliers de marocains affectés par le tremblement de terre mais aussi avec la réalité de la vie de millions de travailleurs, de paysans et de précaires urbains à travers le pays.

En quelque sorte, le séisme a fait surgir dans la surface la misère et la précarité. L’écrivain marocain Abdela Taia l’exprime de cette façon dans un article paru dans El País : « Nous ne pouvons plus faire semblant d’ignorer les conditions de vie des plus pauvres. Ceux qu’il faut cacher. On les croyait loin. Ils sont au contraire très proches de nous. Au centre de l’image et de l’événement. Le tremblement de terre les fait apparaître au grand jour. Dans une misère montrée au monde entier. Dans des vidéos qui font le tour du monde. Et qui font pleurer beaucoup de gens ».

Les tremblements de terre sont effectivement impossibles de prévoir avec exactitude. Mais ce n’est pas le tremblement de terre en soi qui tue, les gens meurent sous les décombres en fonction de la qualité des constructions. Il est clair que les que les plus pauvres, les travailleurs ou les paysans n’ont pas les moyens des hôtels de luxe pour construire en suivant les normes antisismiques dans un pays dont une partie du territoire s’appuie sur une faille sismique. C’est en ce sens que si le séisme est un phénomène naturel, la catastrophe est sociale ; elle révèle, avant et après, le mépris de classe intrinsèque au régime réactionnaire de Mohammed VI.


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