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Analyse

Passe d’armes à l’ONU : les Etats-Unis affaiblis par leur soutien au génocide

Alors que les Etats-Unis présentaient, ce mercredi, une résolution hypocrite en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza, la Chine et la Russie ont opposé leur véto à la motion étatsunienne, instrumentalisant les contradictions aiguës du camp démocrate tandis que Moscou se rapproche de l’Iran et durcit le ton à l’égard d’Israël. Incapable d’imposer leurs termes au Conseil de Sécurité, les Etats-Unis se sont abstenus face à la résolution votée ce lundi.

Enzo Tresso

25 mars

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Passe d'armes à l'ONU : les Etats-Unis affaiblis par leur soutien au génocide

Alors que les Etats-Unis avaient opposé leur véto aux précédentes résolutions de cessez-le-feu, les contradictions aigües du camp démocrate et la concrétisation de l’entreprise génocidaire et coloniale d’Israël à Gaza ont poussé Biden à soumettre, mercredi 20 mars, une nouvelle résolution. Payant le prix de son soutien inconditionnel à l’Etat colonial, la résolution des Etats-Unis avait été enterrée par la Russie et la Chine, soutenus par l’Algérie et d’autres pays arabes, qui ont opposé leur véto à la proposition. Alors qu’une nouvelle résolution a été proposée, ce samedi, et adoptée, ce lundi, les Etats-Unis ont renoncé à imposer leurs conditions aux Nations-Unies, s’abstenant sans s’opposer à la proposition qui prévoit un « cessez-le-feu » inconditionnel pendant le mois de ramadan et la « libération inconditionnelle des otages » retenus prisonniers par le Hamas.

Alors que Netanyahou menace d’envahir Rafah et que les négociations entre Israël et le Hamas sont minées par les exigences colossales de la coalition gouvernementale d’extrême-droite, le véto russe a affaibli la légitimité de la diplomatie étatsunienne et témoigne d’un durcissement notable des relations entre Israël et la Russie. Tirant profit de l’indocilité de Netanyahou et de la faiblesse diplomatique de Washington, incapable d’imposer ses exigences à Netanyahou, Moscou entend tirer profit du réengagement partiel au Moyen-Orient que les Etats-Unis ont été contraints d’opérer alors que les opérations militaires de Tsahal ont fragilisé l’ensemble des équilibres régionaux.

Les Etats-Unis tentent de réimposer leur autorité à Israël

Confrontés à l’érosion d’une partie de leur base électorale, les Démocrates ont multiplié, ces dernières semaines, les déclarations critiques à l’égard du premier ministre israélien et durcissent leurs positions au sujet de la guerre à Gaza. Craignant qu’une guerre longue ne ruine leurs chances de remporter l’élection, alors qu’une partie de leur électorat, solidaire avec la cause palestinienne, déserte leurs rangs, les Démocrates s’inquiètent également de l’instabilité croissante des équilibres régionaux. Alors que les Etats-Unis ont fait de l’Indopacifique leur terrain d’engagement privilégié, les opérations de Tsahal à Gaza ont réveillé les énergies mortifères accumulées dans la région : réanimant l’animosité iranienne à l’égard des Etats-Unis, la course fanatique qu’a choisi Netanyahou menace de faire sombrer le Liban dans la spirale de la guerre et d’entraîner les Etats-Unis dans un nouveau conflit au Moyen-Orient, déjà meurtri par l’intervention brutale du « gendarme du monde » en Irak et en Afghanistan.

Après que le président des Démocrates au Sénat a demandé, jeudi 14 mars, au gouvernement israélien de procéder à de nouvelles élections, et que les forces étatsuniennes ont construit un port à Gaza pour acheminer de l’aide dans l’enclave que Tsahal affame, les Etats-Unis ont déposé une résolution en faveur d’un cessez-le-feu, qui conditionne la cessation provisoire des hostilités à la libération des otages. Si la résolution s’oppose à toute réduction du territoire de l’enclave gazaouie et à la construction des deux zones tampons dont le plan d’après-guerre proposé par Netanyahou fait une priorité stratégique, elle adopte, cependant, un ton lâche et se refuse à toute prescription. Plutôt que d’exiger le silence des armes, la résolution se propose de « constater l’impératif d’un cessez-le-feu soutenu et immédiat ». Comme le souligne Louis Charbonneau, directeur de Human Rights Watch, à Foreign Policy, « si vous voulez adopter un langage très contraignant, il aurait fallu dire “demander” un “cessez-le-feu soutenu et immédiat”. La résolution ne va pas dans ce sens ».

Alors que les Etats-Unis continuent d’alimenter la machine de guerre israélienne, livrant du pain aux victimes et des bombes aux bourreaux, cette résolution est surtout cosmétique. Si elle témoigne de l’isolement croissant d’Israël dont la course à l’abîme inquiète jusqu’à ses alliés les plus proches, elle vise à restaurer en partie l’influence des Etats-Unis sur le gouvernement israélien qui se montre de plus en plus indocile. Directeur du bureau aux crises internationales des Nations Unies, Richard Gowan note que les « Etats-Unis n’ont pas initié, aux Nations Unies, un tournant fondamental dans leur ligne sur la guerre » : « Le simple fait que les Etats-Unis entreprennent de faire quelque chose au Conseil de Sécurité indique, cependant, aux Israéliens, par un petit signe, qu’ils doivent se montrer prudent ».

Un camouflet diplomatique pour Washington

En dépit de son contenu symbolique, la résolution des Etats-Unis a été désavouée par le double véto de la Russie et de la Chine, soutenus par l’Algérie qui représente, provisoirement, les autres nations arabes au Conseil de sécurité. Vassily Nebenzia, ambassadeur russe auprès de l’ONU, a dénoncé une résolution « hypocrite » qui aurait transformé le Conseil de Sécurité en un « instrument au service de l’avancement de la politique destructrice des Etats-Unis au Moyen-Orient ».

Amar Bendjama, l’ambassadeur algérien, a, de son côté, indiqué que les termes de la proposition étaient inacceptables. La résolution indiquant qu’il incombe à Israël de réduire les dommages causés aux civils dans ses « opérations en cours et à venir », l’ambassadeur d’Alger a considéré qu’il ne pouvait accepter le blanc-seing des Etats-Unis qui accorderaient ainsi à Israël la « liberté de continuer les massacres ». L’ambassadeur chinois a, pour sa part, demandé aux Etats-Unis de voter la nouvelle proposition de cessez-le-feu, soumise samedi et adoptée ce lundi, qui « demande un cessez-le-feu inconditionnel » : « Si les Etats-Unis sont sérieux au sujet d’un cessez-le-feu, ils doivent voter en faveur de l’autre proposition » a ainsi déclaré Jun Zhang, vendredi matin.

Alors que les Etats-Unis ont systématiquement opposé leur véto à toutes les propositions en faveur d’un cessez-le-feu, en octobre, en décembre et en février, au motif, dans le dernier cas, qu’une résolution aurait empêché les négociations entre Israël et le Hamas d’aboutir, les Etats-Unis payent le prix de leur soutien inconditionnel à l’Etat d’Israël. Incapables d’imposer leurs termes aux Nations Unies, les Etats-Unis se sont abstenus pendant le vote de la nouvelle résolution qui a été adoptée par le Conseil de Sécurité.

Un coup tactique pour Pékin et Moscou

Alors que la guerre russo-ukrainienne patine, Moscou semble vouloir profiter de la perte d’influence des Etats-Unis sur Israël pour consolider ses propres positions. En décrédibilisant la diplomatie étatsunienne, incapable d’obtenir de Benjamin Netanyahou qu’il n’étende pas le périmètre des opérations militaires de Tsahal à Gaza et au Liban, la Russie espère peut-être affaiblir encore davantage le pouvoir d’influence des Etats-Unis sur Israël. D’autre part, en encourageant l’indocilité de Netanyahou, avec qui Poutine entretient des relations complexes, à l’égard des Etats-Unis, la Russie pourrait tirer profit du réengagement des Etats-Unis au Moyen-Orient.

En outre, en nouant d’étroites relations avec l’Iran, qui approvisionne l’armée russe en drones de combat et lui fournit d’autres équipements militaires, ce premier véto de la Russie, qui s’était abstenue lors des précédents votes, permettrait à Poutine de lui témoigner symboliquement de la fermeté de son soutien alors que le pays a subi les menaces belliqueuses de la diplomatie étatsunienne après la mort de deux soldats à la frontière jordano-syrienne, le 28 janvier, lors d’une attaque menée par une milice chiite pro-iranienne.

Enfin, le véto russe témoigne d’un durcissement des relations entre Israël et Moscou. Si Moscou soutient la plupart des ennemis d’Israël dans la région, Netanyahou a toujours tenté d’obtenir les faveurs de son homologue russe. Proche de l’Iran, Israël espère de Poutine qu’il modère les ambitions iraniennes dans la région. En outre, beaucoup de citoyens israéliens sont issus de la grande vague d’émigration russe en Palestine qui survint après la chute du mur de Berlin et la décomposition de l’Etat soviétique. Nouant, par ailleurs, des relations fortes avec la diaspora juive en Russie, Israël se montre très conciliant avec les autorités russes. En témoigne, par exemple, le refus de Netanyahou de participer à la campagne de sanctions contre Moscou ou d’envoyer des armes à l’Ukriane, au risque de s’aliéner ses plus proches alliés européens.

Alors que Netanyahou a besoin du pouvoir de modération des forces russes, tandis que Tsahal bombarde activement les milices pro-iraniennes en Syrie, où sont également stationnées des troupes russes, Poutine n’a cessé de prendre ses distances avec Israël, en instrumentalisant la cause palestinienne de manière hypocrite. Alors que le président russe avait conservé le silence pendant trois jours, après les attaques du 7 octobre, la Russie n’a pas cessé, depuis, d’adopter des positions de plus en plus hostiles à l’égard d’Israël. Remettant en cause le « droit d’Israël à se défendre » lors d’un discours à l’ONU, le 1er novembre, la Russie avait également reçu une délégation du Hamas, fin octobre. Vendredi dernier, Anatoly Viktorov, ambassadeur de la Russie en Israël, a été convoqué par les autorités diplomatiques de l’État colonial, pour répondre des déclarations de certains officiels russes qui dénonçaient le caractère calomnieux du rapport publié par l’ONU sur les possibles violences sexuelles commises par des militants du Hamas pendant les attaques d’octobre.

Du côté de Pékin, la légère désescalade des tensions depuis la rencontre entre Biden et Xi Jinping, le 23 novembre dernier, n’a pas durablement apaisé les relations sino-étatsuniennes. Engagés dans une guerre commerciale contre la Chine, les Etats-Unis tentent de maintenir leurs positions à Taïwan. Toute érosion de la puissance diplomatique étatsunienne constitue ainsi un avantage tactique indiscutable pour la Chine. Dans ce contexte, la première utilisation du droit de véto par l’ambassadeur russe témoigne de la rapide dégradation des relations entre Israël et Moscou et de la polarisation croissante des forces politiques au Moyen-Orient. Menaçant de lâcher la bride à l’Iran, Moscou durcit le ton à l’égard de Benjamin Netanyahou tout en affaiblissant l’autorité diplomatique des Etats-Unis, tirant profit du réengagement provisoire des forces étatsuniennes au Moyen-Orient que les opérations génocidaires de Tsahal à Gaza ont profondément déstabilisé.

Les discussions qui ont secoué l’ONU, ces derniers jours, apparaissent comme des symptômes du recul de l’hégémonie américaine au niveau mondial. Comme le notaient déjà Jared Cohen, président des affaires mondiales chez Goldman Sachs et Ian Bremmer, président d’Eurasia Group et de GZERO Media dans un article pour Foreign Policy en décembre dernier, « alors que les États-Unis restent la première puissance mondiale et conservent une grande influence internationale, les alliés de Washington sont moins sûrs de son leadership, ses concurrents s’enhardissent et les pays du milieu masquent de plus en plus leurs initiatives ». Quelques mois plus tard, force est de constater que, pour la première fois depuis la chute de l’URSS, les États-Unis font face à une opposition plus ou moins organisée à leur leadership, bien supérieure à celle qu’avaient pu opposer la France de Chirac et l’Allemagne de Schröder au moment de la seconde agression contre l’Irak, en 2003, qui s’incarne aujourd’hui dans l’alliance entre la Chine, la Russie et, dans une moindre mesure, l’Iran, tout en étant liée à l’émergence de « puissances moyennes », comme la Turquie, pourtant membre de l’OTAN, qui refusent, sans ouvrir un conflit ouvert, de s’aligner sur les diktats de Washington. Dans un contexte ou le bellicisme et le militarisme, qui caractérisent la situation actuelle, connaissent une dynamique ascendante, ces tendances doivent être suivies de très près.


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